Description
Grenouille jaune verte translucide à motifs
Article vintage des années Années 70.
Matériaux: résine synthétique, Lucite verte.
Longueur : +-7.5cm
Largeur : +-5.5cm
Hauteur : +-4.5cm
Abraham Palatnik naît en 1928, à Natal, dans l’état de Rio Grande do Norte (Brésil). Il est issu d’une famille de juifs russes qui s’est installée dans cette ville en 1912. À cette époque, Natal n’est qu’une petite ville à vocation principalement agricole. Son père et ses oncles y sont parmi les premiers à fonder des établissements commerciaux et industriels en adoptant de nouvelles méthodes de travail et de production. Pendant plusieurs décennies, ils développent jusqu’à huit activités différentes telles que la fabrication de meubles, de céramique et la production de sucre. À cet égard, Palatnik est lui-même un artiste plastique doublé d’un industriel.
À l’âge de quatre ans, Abraham Palatnik se rend en Israël (à l’époque la Palestine) avec sa famille. Après l’école primaire et secondaire, il poursuit des études de mécanique et de physique, en se spécialisant dans les moteurs à explosion. Habitué dès son plus jeune âge à dessiner, il fréquente parallèlement, pendant quatre ans, un atelier libre, où il suit des cours de dessin d’après des modèles vivants, de peinture et d’esthétique. Ses premiers dessins exposés au MAC, représentent son père Tobias (1942) et deux de ses professeurs, Haaron Avni et Sternshus (1943). Il peint à cette époque des paysages, des natures mortes, des portraits et des autoportraits (1944). Ses dessins au graphite ont une ligne souple, fluide presque lyrique. Sur ses dessins au fusain où figurent ses camarades de l’atelier, le trait noir est ferme, solide, réaliste, parfois à tendance expressionniste. Sa peinture est dépouillée de tout élément superflu ou rhétorique.
Palatnik revient au Brésil à la fin de 1947 et s’installe à Rio de Janeiro. Il se produit alors deux faits qui changent radicalement son travail de création artistique : sa rencontre avec le critique d’art Mário Pedrosa et sa première visite au Service de Thérapie de Rééducation de l’Hôpital Psychiatrique Dom Pedro II, situé dans le quartier Engenho de Dentro et fondé par Nise da Silveira, deux ans auparavant.
Pedrosa est déjà à cette époque, l’un des intellectuels brésiliens les plus en vue, et il se consacre à l’art et à la politique. C’est le premier critique brésilien à défendre l’art des schizophrènes, lors d’une conférence donnée en 1947 à l’Association Brésilienne de Presse. Deux ans plus tard, alors qu’il brigue la chaire d’histoire de l’art et d’esthétique à la Faculté Nationale d’Architecture, en 1949, Pedrosa soutient une thèse intitulée » De la nature affective de la forme dans l’œuvre d’art « , qui est le premier texte publié au Brésil et l’un des premiers au monde, dans lequel une œuvre d’art est analysée à partir de la théorie de la Gestalt.
En compagnie d’Almir Mavignier, Palatnik se rend souvent chez Mário Pedrosa. Cette maison est fréquentée par de nombreux artistes et surtout par des politiciens. Dans une entrevue qu’il concède à Wilson Coutinho (Jornal do Brasil, 05/12/1981), il décrit ainsi ces réunions : » Nous arrivions à faire fuir les politiciens avec nos conversations sur l’art. Pedrosa parlait beaucoup de la psychologie de la forme dans la Gestalt. Mais il ne faisait pas que parler, il écoutait beaucoup aussi. Notre but était de comprendre la nature des processus de création ainsi que la fonction de l’artiste. J’en suis arrivé à la conclusion que l’artiste sert à discipliner le chaos perceptif. Je continue à croire au lien entre la perception et l’intuition. Sans cela, la nature ne serait rien d’autre qu’un chaos. «
C’est Mavignier qui amène Palatnik pour la première fois à l’Hôpital Psychiatrique d’Engenho de Dentro, où il est depuis quelque temps animateur à l’atelier de peinture. » En découvrant la production de certains des internés, mon bel édifice de certitudes s’est effondré. Je savais parfaitement manier les pinceaux et les couleurs, je croyais maîtriser mes connaissances, et tout à coup, je m’apercevais que ces personnes, qui n’avaient jamais étudié ni suivi la moindre formation, étaient capables de produire des œuvres possédant un langage complexe et profond. » Dans un témoignage récent au Musée des Images de l’Inconscient, il ajoute : » La cohérence était présente chez Diniz, Carlos et Emygdio ; la poésie chez Raphaël et Isaac. Les images et le langage fusio nnaient. Les principaux éléments figuratifs et de couleur n’obéissaient dans leur composition à aucun critère académique ; en vérité, ils étaient régis par d’autres codes reliés à de puissantes forces provenant de l’inconscient. » L’impact de cette visite (qui ne restera pas unique) ainsi que celui des discussions avec Pedrosa, mettent à bas » mes idées et mes convictions au sujet de l’art « . Palatnik décide donc d’abandonner la peinture, et s’enferme chez lui pendant deux ans, jusqu’à la création de son premier appareil cinéchromatique.
Cette rétrospective montre notamment un portrait d’Isaac et une peinture reproduisant une vue de l’Hôpital d’Engenho de Dentro, ainsi que deux remarquables dessins de Raphaël représentant Palatnik.
Convaincu qu’en adoptant une technique différente basée sur les dernières découvertes scientifiques et techniques, il pourrait » donner à l’art pictural le pouvoir de la lumière et du mouvement dans le temps et dans l’espace « , Palatnik abandonne la peinture et construit, à titre expérimental, entre 1949 et 1950, ses deux premiers appareils cinéchromatiques. Sur un écran en plastique dressé devant ses appareils, il projette des couleurs et des formes animées par des moteurs électriques, qui produisent un ensemble chromatique lumineux et rythmique. L’emploi des moteurs et des ampoules se substitue à la peinture (dans sa dimension matérielle) par le biais de la réfraction de la lumière. Un centre de contrôle composé de contacts électriques, règle la vitesse et la durée de chaque faisceau l umineux. Face à l’appareil cinéchromatique, le spectateur ne voit que les projections colorées. Cependant, à l’intérieur de l’appareil, plus de 600 mètres de fils électriques de couleurs diverses reliés à 101 ampoules de différents voltages actionnent plusieurs cylindres à des vitesses variées. La projection s’effectue au travers d’une série de lentilles, de formes et d’un prisme qui permet la réfraction des couleurs.
Le premier » appareil cinéchromatique « , dénommé Azul e roxo em primeiro movimento (Bleu et violet en premier mouvement), est exposé à la 1re Biennale de São Paulo, en 1951. Mais il n’est pas facilement accepté. En effet, le jury brésilien rejette l’œuvre sous le prétexte qu’elle ne rentre dans aucune des catégories officielles. Les organisateurs de la Biennale autorisent néanmoins sa présentation dans la salle où auraient dû être exposées les œuvres de la délégation japonaise qui a annulé sa participation, sans toutefois la faire figurer dans le catalogue. En revanche, un deuxième jury international lui décerne une mention honorable et la considère » comme une importante manifestation de l’art moderne, digne de figurer dans le Musée d’Art Moderne de S&a tilde;o Paulo « . Le critique argentin Jorge Romero Brest, chef de file de plusieurs générations de critiques latino-américains, évoque longuement et avec enthousiasme « la curieuse machine qu’a créée Abraham Palatnik sur le principe du kaléidoscope (…). Les structures de formes variées y sont animées par un coloris intense qui peut atteindre des tons très fins et très subtils que la peinture proprement dite, cherche à obtenir sans y parvenir. » (revue Ver y estimar, nº26, Buenos Aires, 1951).
Le terme » cinéchromatique » est inventé par Mário Pedrosa, qui précisément est aussi l’auteur du premier texte d’analyse critique sur l’invention de Palatnik. Dans un article publié au journal Tribuna da Imprensa, en 1951, il fait ainsi référence au » dynamisme plastique chromatique » de Palatnik, qui en abandonnant la peinture et la figuration pour peindre directement avec la lumière, essaie de réaliser pour la première fois au Brésil » l’utopie artistique » de Moholy-Nagy, qui consisterait à créer des » fresques de lumières destinées à animer des édifices ou des pans de murs entiers avec le dynamisme plastique de la lumière artificielle, au gré de la volonté et de l’inspiration créatrice de l’artiste. Dans les maisons du fu tur, on réservera un endroit spécial pour l’installation de ces fresques lumineuses, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, pour la radio et la télévision. » Après avoir analysé les différents aspects techniques et de construction de son premier appareil cinéchromatique, ainsi que ses différentes implications esthétiques, Pedrosa conclut qu’il incarne » l’authentique art du futur » et qu’il est par conséquent » une excellente introduction à la Biennale « .
Pedrosa écrit encore à deux reprises concernant l’innovation de Palatnik. En 1953, à l’occasion de la présentation, au Musée d’Art Moderne de Rio de Janeiro, du troisième appareil construit par l’artiste, puis en 1960. Dans le premier des textes, il remarque que le nouvel appareil, intitulé Paralelas em azul-laranja numa sequência horizontal (Parallèles en bleu orangé dans une séquence horizontale), a un avantage sur les précédents, » de par sa précision lumineuse, et principalement grâce à la maîtrise de la pensée de son créateur sur le mouvement des formes « . Il conclut que » par la succession calculée des formes et la trame des accords chromatiques, le créateur impose sa volonté à la machine, en la rendant capable de produire une œuvre d’art. «
En 1959, Palatnik a déjà construit une vingtaine d’appareils cinéchromatiques, dont neuf au cours de cette même année. Le huitième, avec une séquence d’images vert orangé qui dure quatre minutes, est exposé au Musée d’Art Moderne de Rio de Janeiro, en 1960. Palatnik y introduit plusieurs modifications techniques, comme la miniaturisation du centre de contrôle, la réduction du câblage électrique à 60 mètres et du nombre des ampoules à 51, ainsi que la mise en place d’un centre de contrôle automatique et de deux interrupteurs indépendants pour la lumière et le mouvement. Remarquant que l’amélioration technique n’a modifié en rien le répertoire formel, Pedrosa exige de l’artiste, » une nouvelle révolution technique et esthétique (…) grâce au génie inventif que Dieu lui a accordé (…) en utilisant les possibilités de l’électronique pour élargir son champ de liberté et diversifier ses expériences cinéchromatiques. «
Palatnik expose ensuite ses appareils cinéchromatiques à la Biennale de São Paulo en 1955, 1957, 1959, 1961 et 1965, et à la Biennale de Venise, en 1964. Grâce au succès de la » machine à peindre » à Venise, il reçoit de nombreuses invitations de plusieurs pays européens (Allemagne, France, Suisse, Angleterre), des Etats-Unis et d’Israël pour présenter ses œuvres dans le cadre d’expositions individuelles et collectives. En 1964, Palatnik participe, avec quelques-uns des plus grands noms de l’art cinétique mondial, à l’exposition Mouvement 2, organisée par la Galerie Denise René, avec une présentation de Jean Cassou ; l’exposition sera ensuite transférée au Musée d’Art de Tel-Aviv. Le critique d’art Juergen Morschel, dans le journal Kulturspiegl, d’Ulm, commente longuement l’exposition individuelle de Palatnik au Hochschule Museum, de Saint Gallen, en 1964, en déclarant que » le visiteur de cette exposition ne trouve pas un artiste qui exécute des objets, mais qui met en scène des événements. C’est un » régisseur « . «
Deux ans plus tard, il participe à une autre exposition internationale d’art cinétique d’une importance majeure, la Kunst-Licht-Kunst, au Musée d’Art de la ville d’Eindhoven, en Allemagne. Le catalogue de l’exposition est publié avec une présentation de Jan Leering et un long texte d’introduction de Frank Popper, où pour la première fois, ce dernier fait référence aux » mobiles lumineux » de Palatnik, en mettant l’accent sur la veine poétique de ses recherches. En 1967, Popper confirmera le caractère pionnier des recherches de Palatnik sur la lumière et le mouvement dans un texte paru dans son livre Naissance de L’Art Cinétique. De son côté, en remarquant l’importance de l’exposition d’Eindhoven, Pierre Cabanne, déclare dans son livre El arte del siglo veinte (1983) : » Il est ici important de citer, avant tout, les bôites cinéchromatiques de Palatnik, perfectionnées par les » lumidynes » de Frank Malina, qui sont des tableaux aux combinaisons chromatiques transformables, contrôlés électriquement. » Cabanne, de nouveau dans l’ouvrage qu’il écrit conjointement avec Pierre Restany, en 1969 (L’Avant-garde au XXe Siècle), a déjà mis l’accent sur le caractère pionnier de Palatnik par rapport aux recherches de Nicholas Schoffer concernant le dynamisme spatial. Enfin de son côté, Tomás Maldonado, le chef des artistes concrets » inventionnistes » argentins, recteur de l’Ecole Supérieure de la Forme à Ulm, salue en 1967, son » compagnon brésilien « , comme « &nb sp;le principal précurseur du plus récent retour &agrav e; l’esthétique de la lumière et du mouvement. «
Aux Etats-Unis, Palatnik réalise en 1965 deux expositions individuelles à la galerie Howard Wise, de New York, et à l’Union Panaméricaine, à Washington D.C. Il participe ensuite à d’innombrables expositions collectives, telles que la Light and Motion, au Worcester Art Museum, Massachussets, en 1967. Palatnik participe à 11 expositions, par le biais de son galeriste nord-américain qui avait probablement l’intention de le retenir aux Etats-Unis pour qu’il devienne un artiste nord-américain. On en a pour preuve sa participation à l’exposition Contemporary American Painting and Sculpture, à l’université d’Illinois.
Entre temps Palatnik a déjà réalisé en 1965, à la Petite Galerie, sa première exposition individuelle au Brésil et reçoit un prix à la 3e Biennale de Córdoba, en Argentine, pour l’appareil cinéchromatique Seqüência Visual S-81 (Séquence Visuelle S-81). Le jury international de la Biennale de Córdoba est composé de personnalités de premier plan telles qu’Alfred Barr, directeur du Musée d’Art Moderne de New York, et l’un des premiers défenseurs de l’art abstrait aux Etats-Unis, Sam Hunter, le directeur du Jewish Museum, de New York, Arnold Bode, le créateur de la Documenta de Kassel, Carlos Villanueva, l’architecte qui a projeté l’Université Nationale de Caracas, où il a amorcé le mouvement de synthèse des arts, et attiré vers la capitale vénézu élienne, les œuvres de certains artistes constructivistes les plus importants du monde et, finalement, Aldo Pelegrini qui est également l’un des premiers critiques argentins à défendre l’art concret. À cette époque, Palatnik est par conséquent l’un des artistes brésiliens les plus reconnus internationalement, et les principales collections publiques et privées possèdent la majorité des appareils cinéchromatiques qu’il a réalisés au cours de sa carrière.
Toutefois il est intéressant de situer le développement de son œuvre dans sa chronologie exacte. Après avoir abandonné la peinture et les thèmes figuratifs peu de temps après son retour au Brésil, et en parallèle avec la réalisation de ses » appareils « , Palatnik développe des recherches sur de nouveaux supports et matériaux, tant dans le domaine de ce qu’on pourrait appeler la peinture de caractère abstrait et géométrique, que dans celui du design de meubles. À cet égard, il participe à la 1re Exposition Nationale d’Art Abstrait, organisée en 1953, à l’Hôtel Quitandinha, de Petrópolis, avec trois œuvres, qui sont à la fois de la peinture et de l’eau-forte sur verre . Il présente aussi des meubles, dans trois des quatre expositions du Groupe Frente, ré ;alisées au Musée d’Art Moderne de Rio de Janeiro, en 1955, à Resende et à Volta Redonda, en 1956.
Aux appareils cinéchromatiques succèdent, en 1959, certains travaux dans lesquels il explore les possibilités esthétiques des champs magnétiques, qui incluent dans certains cas la participation ludique du spectateur. Mobilidade IV (Mobilité IV) est constituée de billes de bois actionnées silencieusement par des électroaimants. En 1983, il reprend cette recherche, en créant un objet ludique, qui consiste à placer sur un socle de verre circulaire, des formes géométriques de couleurs différentes, que le spectateur contrôle grâce à un bâton magnétique. Les pôles positifs et négatifs attirent ou repoussent les formes géométriques qui font partie d’une structure plus grande que le spectateur doit monter à l’aide du bâton magnétique. Cet objet est en fait un jeu.
En 1964, il crée les premiers » objets cinétiques « , qui sont constitués de tiges ou de fils métalliques comportant à leurs extrémités des plaques et des disques de bois de couleurs variées, actionnés lentement et silencieusement par des moteurs ou des électroaimants. Dans ces objets, Palatnik met principalement l’accent sur le mouvement. Dans les appareils cinéchromatiques, la partie électromécanique est totalement invisible ; seuls les mouvements rythmés de la couleur et de la lumière sont montrés au spectateur. En revanche, une partie du mécanisme des objets cinétiques est visible, ce qui signifie que Palatnik a cherché à lui donner une dimension esthétique.
Quelles sont les caractéristiques du cinétisme de Palatnik, et quelle est la place qu’il occupe dans le mouvement cinétique mondial ? Les nombreuses interprétations concernant la signification de l’art cinétique ne sont pas toujours convergentes. Frank Popper parle d’une esthétique du mouvement, en traçant un parcours qui va de l’image en mouvement jusqu’à l’art du mouvement. Pour Jean Clay cependant, le cinétisme n’est pas seulement ce qui est en mouvement, mais aussi la prise de conscience de l’instabilité du réel. De son côté, Guy Brett, dans son livre Kinetic Art / The Language of Movement (1968) va plus loin, en rattachant l’idée de mouvement au domaine biologique, et en considérant l’art cinétique comme l’élargissement de la perception et l’approfondissement de l’acte de vivre en lui-même. Il faut noter que dans cette interprétation, le cinétisme s’éloigne de ses racines constructives pour se rapprocher de l’Arte Povera et du Body Art.
En tant qu’ » qu’esthétique du mouvement « , les origines du cinétisme remontent loin dans l’histoire de l’art. En effet, l’expression du mouvement, qui est l’essence de l’art cinétique, avait déjà une place chez les artistes égyptiens, grecs, de la Renaissance, du Baroque, et ainsi de suite jusqu’à l’apparition de l’art moderne. On peut aussi se référer à l’histoire de la technologie ; en effet nombreux sont les exemples où les artistes se sont empressés de mettre à profit certaines inventions mécaniques pour atteindre leurs objectifs esthétiques : horloges, boîtes à musique, le clavier lumineux de Scriabini, le clavilux de Thomas Wilfred, l’orgue de couleurs de Rimington, le cinéma expérimental de Leopold Survage, Viktor Eggeling et Hans Richter. Ce dernier, d’abord membre du mouvement Dada, devient en suite l’un de ses principaux historiens, et parle à propos de ses films Rythme 21 et Rythme 23 d’une » orchestration du temps « , en considérant le cinéma comme un » art visuel avant tout. «
Palatnik limite délibérément son champ d’action, en refusant de pénétrer sur le terrain mouvant de l’Arte Povera, du Body Art et encore moins des happenings collectifs organisés dans les rues, par le Groupe de Recherches d’Art Visuel de Paris. Dans ses appareils cinéchromatiques, il met en scène le binôme lumière et mouvement, ses objets cinétiques mettent l’accent sur le mouvement tandis que pour ses objets ludiques et rotatifs, la participation du spectateur est limitée par certaines règles. Il s’agit par conséquent d’un cinétisme pur, rattaché à la tradition constructive. Les prédécesseurs les plus lointains du cinétisme de Palatnik sont Gabo et Calder, ainsi que les artistes cités auparavant. Cependant, à partir des années 50, Palatnik est très proche, parfois un peu e n avant ou en retrait, d’artistes tels que Pol Bury, Takis ou Tinguely, pour ne citer que trois des artistes cinétiques contemporains les plus connus.
Au Brésil, grâce à ses appareils cinéchromatiques, Palatnik anticipe non seulement le mouvement constructif, qui naît avec les groupes Ruptura (São Paulo 1952) et Frente (Rio de Janeiro 1954), puis se consolidera avec le concrétisme (1956) et le néoconcrétisme (1959), comme il fonde le volet technologique de l’art brésilien.
Les appareils cinéchromatiques se rapprocheraient donc plus de la peinture et du cinéma et les objets cinétiques de la sculpture et du dessin. Comme les engrenages mécaniques sont invisibles dans les appareils, ceux-ci renforcent la sensation d’animation picturale. La mécanique étant visible dans les objets cinétiques, elle intègre le champ visuel et fait partie de la signification esthétique de l’œuvre. Dans les appareils, la métamorphose continuelle des formes et des couleurs provoque des effets de cinesthésie, tandis que dans les objets, le mouvement provoque l’enchantement. Les appareils et les objets sont des » machines » qui ont été construites avec la même rigueur et le même esprit logique, mais les premiers suggèrent plus l’idée d’ordre et de contrôle. Les objets semblent plus spontanés comme si le has ard y avait sa place, comme s’il s’agissait de jouets et non de machines. Les objets cinétiques sont certes actionnés par des moteurs ou des électroaimants, mais l’esprit qui les anime est le même que celui du mobile, une autre machine, mais qui elle, est actionnée par une source d’énergie naturelle lui conférant de la fraîcheur, de la légèreté et du lyrisme.
On raconte que Joan Miró, après avoir découvert les appareils cinéchromatiques de la Biennale de Venise (1964), se rendit au Hochschule Museum de Saint Gallen, en Suisse, où Palatnik réalisait une exposition individuelle, et demanda au directeur un fauteuil pour pouvoir contempler à loisir ses » machines à peindre « . Il est probable qu’il y ait perçu certaines affinités avec sa peinture. Le peintre catalan est considéré comme un artiste surréaliste. C’était un membre actif de ce mouvement, mais sa démarche est allée au-delà des limites du concept d’automatisme psychique formulé par André Breton. Dans sa peinture, comme dans les mobiles de Calder et dans les objets cinétiques de Palatnik, il existe cette pureté des choses nouvelles qui sont en train de naître, une genèse permanente à caractère purement visuel. Ce n’est pas un hasard si Breton, avec son dogmatisme légendaire, a regretté les écarts surréalistes de Miró, en déclarant que » l’intérêt de la peinture ne devait pas résider dans le plaisir sensible de la superficie peinte, mais dans l’énigmatique, l’hallucinatoire ou le pouvoir révélateur de l’image. «
Palatnik n’a pas répondu à l’appel de Mário Pedrosa qui, en 1960, lui demandait de passer de l’électricité à l’électronique. En 1951, il pouvait dire à la manière de Léger : » Je suis un primitif de l’époque future « . D’une certaine façon, il décide de rester dans la position du pionnier de l’art cinétique en écrivant avec ses appareils cinétiques, la préhistoire de l’art high-tech au Brésil. Deux ans avant de réaliser ses premiers objets cinétiques, il avait déjà commencé la première des diverses séries de progressions ou reliefs progressifs, qui sont chacune identifiées par un matériau spécifique : le bois, le carton, le polyester, les cordes, etc. En 1981, alors qu’il expose pour la première fois ses progressions avec des cordes , il déclare : » Je ne fais plus d’art cinétique et je n’en ressens aucune nostalgie. Tout ce qui reste confiné dans un système finit par disparaître. La seule chose qui soit permanente est notre potentiel à discipliner l’univers chaotique. » En vérité, ses progressions appartiennent toujours à l’univers cinétique. Un cinétisme virtuel, essentiellement optique, qui se réalise dans le plan bidimensionnel. Cinq ans plus tard, au cours d’une entrevue accordée à Eduardo Kac (Folha de São Paulo, 14/10/1986) il affirme : » Si je débutais dans l’art aujourd’hui, je ferais sans aucun doute des recherches en holographie et en informatique. «
Le matériau utilisé pour la première série des progressions est le bois. Au cours de la visite d’une menuiserie, Palatnik remarque que les morceaux d’arbres jonchant le sol, découpés dans le sens de la longueur, renferment des informations spontanées de la nature. Chaque nuance de couleur, chaque dessin imprimé par le temps sur le bois, est une trace inéluctable des événements de croissance, des pressions environnementales telles que la sécheresse, l’humidité, la chaleur et le froid, qui se sont manifestés par la progression des nœuds. Par conséquent, la nature crée par elle-même, à l’intérieur du bois, des modèles visuels caractérisés par des tonalités, des marques, des taches. Palatnik décide donc de discipliner ces formes ou ces modèles naturels, dans l’intention » de touch er les sens de l’homme en stimulant sa perception « . Dans ses premières œuvres, le but principal était d’insister sur l’idée de la progression du rythme horizontal ondulatoire qui, en couvrant tout le plan bidimensionnel, suggère une expansion virtuelle au-delà des limites du cadre. Les travaux suivants remplacent partiellement la progression, ou plutôt la font surgir accouplée à l’idée de symétrie, dans la mesure où les lamelles de bois forment des nœuds ou des surfaces/taches qui s’opposent symétriquement, en avoisinant parfois la figuration, plus allusive que réelle, comme dans les formes du test Rorschard.
Par la suite, à partir de 1968, Palatnik se met à utiliser le carton duplex ou triplex, de couleur blanche ou brune. Mais au lieu d’utiliser la surface du carton comme l’aurait fait n’importe quel dessinateur, il superpose les feuilles pour créer un agglomérat qu’il creuse ensuite à partir du sommet. Pour effectuer cette découpe, dans laquelle il intègre également le cadre, il utilise une lame à double tranchant. Ses reliefs de différentes profondeurs forment des structures optiques avec des interstices translucides et des espaces plus ou moins illuminés qui semblent s’ouvrir ou se fermer en fonction de la position du spectateur. En même temps, ces structures optiques abritent des fragments figuratifs qui suggèrent parfois des architectures de palais, de villes, de grottes ou bien encore le mouvement incessant des vagues ou des dunes.
C’est la période la plus baroque de sa création plastique. Palatnik travaille avec excès et un grandiose visuel, en évitant tout vide, à la manière des églises du XVIIe siècle de la période du baroque brésilien. Mais ces reliefs possèdent également quelque chose de byzantin et de sacré, ce qui devient évident quand il remplace le carton par le métal doré. Cette série évolue plus tard vers les œuvres multiples réalisées en PVC par le système de formage sous vide (vacuum forming).
Au cours des années suivantes, Palatnik emploie successivement trois nouveaux matériaux : dans les années 70, la résine de polyester, dans les années 80, les cordes sur toiles et dans les années 90, un composé de plâtre et de colle. Avec ce dernier mélange, qu’il applique sur la toile à l’aide d’un tube dont l’embout sert de pinceau, il inonde l’espace d’un graphisme vibrant et coloré, mais de caractère progressif. Dans les progressions en résine de polyester, il explore avant tout la transparence du matériau.
En 1981, à l’occasion de la première exposition des progressions réalisées avec des cordes sur des toiles peintes avec de l’acrylique, Palatnik déclare qu’il s’agit » d’essayer d’organiser les surfaces d’une manière différente des procédés normaux, en introduisant une dynamique au travers de la couleur. » Il aurait également pu ajouter : au travers de la couleur et de la ligne. Car finalement malgré l’utilisation de la couleur, cette série est autant de la » peinture » que la série réalisée avec les lamelles de bois. D’ailleurs l’une des œuvres de cette série n’est composée que de cordes alignées, recouvertes par ce même blanc qui sert de base aux autres tableaux. En utilisant uniquement ce ton, Palatnik renforce la structure linéaire qui sous-tend les rythmes optiques et cin&eacut e;tiques de sa proposition. Mais à l’inverse des progressions en bois, qui tendent vers une expansion horizontale, dans les progressions avec des cordes, à la manière d’un Muybridge abstrait, l’impulsion tend vers le haut, comme si l’artiste désirait exprimer en même temps, la sonorité chromatique du clavier lumineux et l’impulsion ascensionnelle des colonnes qui s’élèvent comme des forêts dans les cathédrales gothiques. Cet élan vers le haut est accentué par l’artiste quand il brise ses lignes de couleur à un endroit précis, pour créer un point d’arrêt qui sert de tremplin visuel.
Dans cette séquence de progressions, les éléments les plus empreints de signification sont la structure formelle résultante et abstraite, le rythme progressif de la forme, la dynamique visuelle, le jeu des symétries et des asymétries, de lumière et d’ombre, de contention et d’expansion ainsi que le temps comme mouvement virtuel. Palatnik cherche sans aucun doute à exploiter le potentiel expressif de chaque matériau, mais c’est une loi de développement interne qui unifie cette série de progressions et lui donne toute sa cohérence. En prenant la question sous un autre angle, on pourrait dire que le sens primordial de la forme ne réside pas dans son apparence mais dans son essence. Comme nous le rappelle l’artiste lui-même, on ne doit pas confondre la forme avec l’enveloppe ou le contour. Le créateur des appareils cinéchromatiques et des objets cin&ea cute;tiques est le même que celui des progressions. Son message reste inchangé.
Toujours soucieux d’éviter le recours aux pinceaux et à la peinture, Palatnik réalise en 1987, une série de dix tableaux avec de la peinture Duco sur du carton collé à un panneau de bois. Cette peinture industrielle avait déjà été utilisée par certains membres du groupe Frente, tel qu’Ivan Serpa, parce qu’elle semblait mieux répondre aux exigences d’une peinture géométrique aux couleurs pures, qui n’était prétendument pas contaminée par la subjectivité du peintre, et parce qu’elle pouvait mieux s’adapter aux supports industrialisés comme le contreplaqué. En outre, les surfaces lisses et brillantes obtenues en appliquant cette peinture, permettaient la multiplication des originaux créés par l’artiste. Une possibilité qui est d’ailleurs toujours latente dans certaines œuvres de Palatnik. &Agrav e; cet égard, les dix tableaux composant cette série qui ont tous la même dimension (37,5 x 37,5 cm), ont été conçus comme des éléments multiples et emballés par l’artiste dans une caisse de bois, comme s’il s’agissait d’une sorte de collection ou de musée portable. Alors que les progressions en carton représentent l’époque la plus baroque de Palatnik, cette série peut être considérée comme un intervalle de peinture concrète.
En 1988, j’ai invité Palatnik à participer à un concours du Secrétariat au Tourisme de Rio de Janeiro, dont j’étais le coordinateur, pour créer une sculpture immergée dans la mer d’Angra dos Reis. Habitué depuis longtemps à affronter les défis les plus divers, il a accepté avec enthousiasme cette invitation inhabituelle, et a projeté une sculpture qui devait non seulement être immergée mais devait aussi permettre une » rencontre fluctuante » avec les plongeurs. En accompagnant la dynamique propre de la sculpture, le plongeur aurait ainsi pu l’explorer de l’intérieur et de l’extérieur, et retirer de ce parcours une expérience à la fois sensorielle et ludique. La sculpture devait être construite à partir de cette tôle utilisée pour la construction navale, c’est-à-dire avec un mat&eacu te;riau inoffensif pour l’environnement et pouvant cohabiter avec la faune et la flore subaquatique. En associant la forme en spirale de sa sculpture à l’image de l’escargot (caracol) et aux bernacles (craca) qui inéluctablement finiraient par recouvrir la superficie du métal, Palatnik intitula son projet le « Cracol« . Ce dernier ne sera pas sélectionné par le jury, mais le prototype est néanmoins présenté à l’exposition rétrospective car il illustre comment les artistes vraiment inventifs sont capables de répondre aux défis qui leur sont proposés.
Palatnik a conservé de son cours de mécanique en Israël, un cahier dans lequel il reproduisait, par un dessin clair et précis, les machines, leurs différentes composantes, avec leurs fonctions respectives. Chaque illustration était accompagnée d’un texte explicatif en hébreu. La qualité de ses dessins faisait l’admiration de ses camarades d’école, et principalement celle son professeur, qui à la fin du cours, demanda le cahier de l’élève puis prétendit l’avoir égaré. Quelques décennies plus tard, le frère de Palatnik, au cours d’un voyage en Israël, réussit à récupérer le vieux cahier que le professeur avait précieusement conservé. » Artiste inventeur « , Palatnik a projeté et enregistré plusieurs patentes au Brésil, pour diverses machines industriel les, pour des jeux et un » objet rotatif « . En 1962, il invente un jeu qu’il dénomme le » Carré Parfait » et qui est exposé pour la première fois en 1971, à la Galerie Barcinski de Rio de Janeiro, puis en 1983, à l’exposition « Arte Programatta e Cinética« , réalisée à Milan et organisée par Léa Vergine. Ce jeu consiste à déplacer des pièces sur un socle comme aux échecs. En revanche, il n’existe pas de position de départ fixe, et certaines règles telles que la capture des pièces et l’échec et mat ne s’appliquent pas. Ce jeu fait aussi plus appel à la perception qu’au raisonnement.
En 1975, Palatnik invente ce qu’il appelle » l’objet rotatif » qui est une pièce de résine de polyester mesurant 12 x 2,5 x 0,8 cm, et qui en raison d’une petite distorsion sur la partie inférieure de l’un de ses côtés, peut inverser sa rotation. Actionné par l’utilisateur, sur une surface lisse et dure, il démarre dans le sens de l’aiguille d’une montre puis se met soudain à tourner dans le sens contraire. La base scientifique de cette invention est la physique de Newton.
L’huile obtenue à partir de la noix du palmier babassou était l’une des principales activités agricoles de la région du Nord-est brésilien. Cependant en raison de la dureté de sa coque, il était très difficile de transformer les amandes de cette noix. En la brisant avec difficulté à la hache ou avec un autre outil manuel, l’on risquait souvent d’abîmer l’amande qui produisait alors une huile amère. En 1952, au bout de six mois d’analyse, Palatnik réussit à créer une machine capable de casser la coque du fruit en laissant ses amandes intactes. En 1968, il développe plusieurs mécanismes pour faciliter l’alimentation des machines servant à la production de farine de poisson. De même, il met au point dans l’entreprise de son père, une solution économique et moins polluante pour l’emballage d’une poudre destinée aux plombages dentaires.
Dans la partie documentaire de l’exposition, le visiteur découvre des études, des dessins, des diagrammes, des plans qui illustrent cette facette de la personnalité de Palatnik : l’idée d’invention est au centre de toute sa création, qu’elle soit plastique ou industrielle. En analysant cette étude et le cahier manuscrit et dessiné, on ne doit pas exclure la perspective du plaisir esthétique (en fait les documents exposés ressemblent beaucoup à certains designs contemporains) ainsi que celle du plaisir intellectuel. À cet égard, certains artistes conceptuels se sont appropriés et ont transféré dans le domaine artistique, des questions qui étaient jusqu’alors limitées aux mathématiques, au design, à la linguistique, à la biologie et à différents domaines scientifiques et technologiques.
Mais, en dehors des spéculations esthétiques, il a toujours existé dans la création de Palatnik, la possibilité d’un échange créatif et productif entre l’art, la science, la technologie et l’industrie. Dans l’entrevue citée de 1981, il affirme : » Pour inventer quelque chose, il faut posséder un comportement anticonformiste. Je pense que les industries devraient inviter des plasticiens, parce qu’ils possèdent un potentiel perceptif capable de résoudre d’innombrables problèmes « . Telle était la proposition des fondateurs du Bauhaus (1919-1933), qui basèrent leur didactique sur un circuit d’échange entre l’art et l’industrie, dans lequel l’art servirait à contenir les excès pragmatiques de l’industrie, tandis que cette dernière inversement, retiendrait les excès romantiques de l’art. Il conclut ainsi : » Je continue à parier sur l’intuition, bien que mon travail exige toujours des calculs mathématiques. «